
Parcours de combattantes
Dans les difficultés rencontrées par les jeunes parents, les mêmes obstacles reviennent régulièrement. Se former pour trouver un emploi adéquat en fait partie. Comment terminer sa formation d'infirmière lorsqu'on n'a personne pour garder ses jeunes enfants pendant ses stages, suite à une séparation pour cause de violences conjugales ? Comment entreprendre une formation et un métier qui nous plait, lorsque les revenus de la famille sont trop peu élevés pour se le permettre ? Comment obtenir l'équivalence d'un diplôme acquis dans un autre pays, lorsque la gestion du quotidien et la charge mentale consomment toute votre énergie ?
Parmi les nombreux parcours de vie des parents que nous rencontrons,
3 mamans ont accepté de nous raconter leur combat pour un emploi.
Betty, infirmière à tout prix
Derrière sa voix douce et son grand sourire, Betty a une détermination de fer. Devenir infirmière, c’est une vocation pour elle. On peut dire que la vie n’a pas été tendre avec elle, et les obstacles pour atteindre son but n'ont pas manqué. Pourtant, elle est bien décidée à aller jusqu’au bout. « Depuis mon enfance j’aimais bien les infirmières. J’avais envie d’aider les autres, de soigner, d’écouter. »
Betty quitte son pays d’origine pour rejoindre son mari en Belgique. Elle arrive avec son jeune fils, et tombe rapidement enceinte. Quand ses enfants ont un peu grandi, elle entreprend des études d’infirmière. A la maison, c’est elle qui s’occupe de tout. « Je devais m’occuper des enfants tous les jours, en sortant de la classe et en étant fatiguée. Le matin, je me levais à 4h pour préparer leurs affaires, les laver, les habiller. Puis je les remettais habillés au lit, pour que leur papa puisse les amener à l’école plus tard, s’il le voulait bien, parce que moi j’avais cours. Parfois je devais même sortir des stages pour conduire les enfants à l’hôpital alors que mon mari ne travaillait pas et était à la maison. » C’est donc la double journée de travail, et une charge mentale très lourde à porter pour une seule personne.
Betty réussit malgré tout ses deux premières années d’études. Mais très vite l’équation devient impossible à gérer, car son mari est violent. Pendant plusieurs années, Betty subit. Elle vit dans un stress constant. Elle prend sur elle en se disant que ça va changer, mais ça ne change pas, et elle finit par lâcher prise. « Il avait des sautes d’humeur que j’ai supporté chaque année, mais je ne savais pas comment l’aider. J’ai cru que j’allais avoir un arrêt cardiaque, je ne dormais plus, je ne mangeais plus. J’ai gardé ça longtemps pour moi, mais je ne pouvais plus continuer parce qu’il me disait qu’il pouvait me tuer. Un jour, il m’a sauté à la gorge et j’ai appelé la police. » Elle réussit à s’enfuir avec ses enfants et à se réfugier dans un centre d’accueil pour les victimes de violences conjugales. Commence alors un long parcours et de nombreux passages devant le tribunal pour récupérer l’appartement et obtenir la garde des enfants. Un procès entamé il y a 3 ans et toujours en cours aujourd’hui, qui représente une source de préoccupation considérable pour Betty.
Evidemment, vu la situation, Betty a dû arrêter les cours durant une année. Elle a ensuite voulu reprendre sa formation, mais en tant que maman solo, sans famille à Bruxelles, difficile de trouver quelqu’un pour garder ses enfants pendant ses stages.
« Je dois être au service à 7h. Pour déposer les enfants chez la gardienne, c’est à partir de 7h30... » La seule manière pour elle de poursuivre sa formation est de trouver une babysitter prête à venir chaque matin s’occuper de ses enfants et les emmener à l’école.
Après avoir remué ciel et terre, contacté son école et celle de ses enfants, des associations, le CPAS, posté des annonces dans le quartier, sur des groupes Facebook, elle a fini par trouver une jeune fille pour s’occuper des enfants. Mais il s’agit d’une solution provisoire et extrêmement coûteuse par rapport à ses revenus. En effet, Betty est au CPAS. Lors de ses périodes de stage, elle a besoin d’une babysitter 3 heures par jour, 5 jours par semaine, ce qui revient à environ 600€ par mois, soit la majorité de ses revenus.
À toute cette angoisse pour la garde des enfants, s’ajoute le stress pour les stages. Les journées sont longues et le travail difficile. Chaque fois, elle est propulsée dans un nouveau service, avec une équipe qu’elle ne connait pas, une ambiance pas toujours accueillante, à laquelle elle doit s’adapter.
Pour rappel, en Belgique nous connaissons actuellement une pénurie d’infirmièr.es dans les hôpitaux, comme le soulignait encore la RTBF début mai ¹. Suite au Covid, de nombreux.ses employé.es ont quitté la profession, découragé.es et dégoûté.es des conditions de travail, du manque de reconnaissance et de financement. Pour remédier à cela, les hôpitaux sont obligés d’engager des sociétés qui recrutent à l’étranger, ce qui coûte extrêmement cher. Le cas de Betty, habitante en Belgique et à la motivation à toute épreuve, nous semble être une aberration.
Aujourd’hui il lui reste 3 stages et son TFE à écrire en parallèle. Elle n’a pas encore trouvé de solution pour garder ses enfants lorsqu’elle fera les horaires de nuit. Un problème à la fois. Les étudiant.es doivent aussi écrire un rapport pour chaque stage, qu’ils doivent rendre directement à la fin du stage, ce qui signifie l’écrire en rentrant chez eux après les journées de travail. « C’est pour ça qu’il y a un manque de personnel dans le milieu hospitalier. Même sans les enfants, c’est très compliqué. »
Si Betty tient bon, c’est surtout pour ses enfants. « Mon rêve c’est d’élever mes enfants et de les voir grandir, qu’ils arrivent à quelque chose, qu’ils puissent travailler. C’est tout ce que je veux. Ça m’importe peu de devenir quelqu’un de très important dans ce monde, mais je veux que mes enfants grandissent bien, dans la dignité, qu’ils aient de bonnes valeurs. C’est pour eux que je suis en train de combattre, de lutter. Sans eux je ne pouvais pas le faire. »
« Le matin, je me levais à 4h pour préparer leurs affaires, les laver, les habiller. Puis je les remettais habillés au lit, pour que leur papa puisse les amener à l’école plus tard, s’il le voulait bien, parce que moi j’avais cours. »
En Belgique, nous connaissons actuellement une pénurie d’infirmièr.es dans les hôpitaux. Suite au Covid, de nombreux.ses employé.es ont quitté la profession, découragé.es et dégoûté.es des conditions de travail, du manque de reconnaissance et de financement.

Tania, un jour je serai pâtissière
À tout juste 30 ans, Tania a déjà un bon bagage parental. Son ainé a aujourd’hui 4 ans et ses jumelles 2 ans. Même si avec tout le travail que ça représente, elle ne s’ennuie jamais, Tania aimerait aujourd’hui recommencer à travailler. Mais pas si simple… Ce qui bloque ? En partie son manque de flexibilité en termes d’horaire, puisqu’elle est limitée avec la garde de ses enfants. Elle rêve surtout de refaire une formation en pâtisserie, mais leurs moyens financiers ne le lui permettent pas. De plus, certaines formations ne lui sont pas accessibles, puisqu’elle n’a pas son diplôme du CESS.
Tania a 12 ans lorsqu’elle arrive en Belgique avec sa famille. Elle ne parle pas un mot de français, mais elle se retrouve tout de même directement dans une classe de 6ème primaire avec des élèves francophones. « Je pense que ce n’était pas une bonne idée, j’aurais dû aller d’abord dans une école pour apprendre le français. » Elle réussit ses premières années difficilement et rate en 4ème, à cause du français. Après avoir redoublé une seconde fois, sa petite sœur se retrouve dans sa classe. Elle le supporte difficilement, se sent découragée et finit par abandonner les cours.
A 19 ans, elle est embauchée dans un restaurant. Elle y travaillera durant 6 ans en tant que serveuse et réceptionniste. C’est là qu’elle rencontre son futur mari. Après leur mariage, elle arrêtera le restaurant à la suite d’un souci. Tania veut trouver un autre emploi, mais cette fois, elle décide de prendre d’abord des cours de français. « Au restaurant, je n’ai pas vraiment appris le français. Avec l’équipe je parlais ma langue maternelle. Je maitrisais le vocabulaire nécessaire pour mon poste, mais je n’avais pas vraiment d’opportunité d’avoir des conversations plus longues et de pratiquer. Pour l’écrit j’étais très nulle, j’avais oublié tout ce que j’avais appris à l’école. » Elle commence des cours de rattrapage, mais tombe rapidement enceinte.
Après la naissance de son fils, elle entreprend une formation en pâtisserie boulangerie. La formation dure normalement 3 ans, mais elle ne fera que 3 mois. D’une part parce qu’elle retombe enceinte de manière imprévue, d’autre part parce que c’est le début du Covid. « La formation je l’aimais beaucoup, mais la théorie était très dure, aussi à cause du français. Mais le côté pratique ça allait bien. »
A la naissance des jumelles, elle n’a plus le temps de penser à quoi que ce soit d’autre.
« Au début j’allaitais mes filles. Mais il y en avait toujours une qui était réveillée et qui voulait manger, ou une qui pleurait, donc je ne dormais jamais. J’ai été hospitalisée pendant une semaine pour pouvoir dormir un peu. Mais les filles continuaient à pleurer tout le temps. Parfois j’avais l’impression d’avoir un problème aux oreilles parce j’entendais leurs pleurs résonner en permanence. J’avais aussi mon fils qui était encore très petit, donc je devais m’occuper des trois. Mon mari travaillait et n’avait pas le temps de s’en occuper. Le soir en rentrant, il me disait de les calmer, parce qu’il devait être en forme pour travailler, donc j’allais dans la pièce à côté pour le laisser dormir. »
Aujourd’hui, les filles vont à l’école, c’est moins fatiguant pour Tania et ça lui libère du temps. Elle aimerait beaucoup poursuivre sa formation, apprendre de nouvelles choses, mais elle ne peut pas se le permettre pour l’instant. En effet, Tania n’a droit à aucune aide financière. Même si elle a travaillé 6 ans, ses heures n’étaient qu’en partie déclarées, ce qui ne lui donne pas droit à un chômage. Son mari a un contrat de 6 mois, qui sera renouvelé si tout se passe bien. Le budget est donc serré. « On n’a pas pu mettre un seul euro de côté ces dernières années. Ça fait 6 ans qu’on n’est plus partis en vacances ! »
Tania s’est inscrite chez Actiris en tant que serveuse, vendeuse, réassortisseuse, et réceptionniste. Pour l’instant elle a eu quelques entretiens, mais n’a pas été retenue. Elle ne perd pas espoir et continue à postuler coûte que coûte. « Mon rêve ? Ce serait d’aider les gens dans une association. J’aimerais aussi partir voyager. Mais en ce moment j’ai trop de responsabilités pour penser à autre chose. »
« La formation je l’aimais beaucoup, mais la théorie était très dure, aussi à cause du français. Mais le côté pratique ça allait bien. »
Nora, obtenir son équivalence de diplôme
Nora est passionnée de biologie. C’est une femme très organisée, qui ne laisse rien au hasard. Elle a étudié dans une école réputée à Alger, où elle a obtenu son master en neurobiologie cellulaire et fonctionnelle. Après avoir travaillé plusieurs années en Algérie, elle s’installe en Belgique avec son mari qui est appelé pour le travail. Quelques mois après, la famille s’agrandit. Les complications arrivent lorsque les parents apprennent que leur enfant a un torticolis congénital, une affection d'origine osseuse au niveau du cou. La jeune maman enchaine alors les rendez-vous médicaux pour son fils.
Elle aimerait recommencer à travailler, mais le temps lui manque. De plus, pour pouvoir travailler dans son secteur d’expertise en Belgique, Nora a besoin d’une équivalence de diplôme. Ce sont des démarches longues, qui demandent de rassembler de nombreux documents. « Je maitrise très bien l’outil informatique donc les démarches n’étaient pas compliquées pour moi. Mais avec les nombreux rendez-vous de mon enfant, il fallait s’organiser. »
Nora s’est séparée de son conjoint lors du premier confinement. « Au début, quand mon fils allait chez son père pour la garde partagée, j’avais beaucoup de mal à me séparer de lui, parce que je n’avais pas l’habitude. Je me suis sentie très seule, c’est pour ça qu’on m’a parlé du Petit vélo jaune, je me suis dit que ça pourrait me faire du bien d’avoir une personne avec qui discuter. »
Aujourd’hui, après elle un long parcours, elle a enfin obtenu son équivalence de niveau global. Pour l'équivalence spécifique, c'est encore une autre histoire. Elle cherche maintenant un emploi. Son fils est plus grand, il va à l’école, ce qui lui permet de chercher à temps plein. Elle a aussi réalisé une formation complémentaire à son diplôme, très pointue dans son domaine, afin de mettre toutes les chances de son côté pour trouver un emploi qui lui convient vraiment.
Pourtant elle se retrouve confrontée à une situation que beaucoup de personnes connaissent : lorsqu’elle postule pour des postes de niveau master, on lui dit qu’elle a un parcours exemplaire, mais qu’elle manque d’expérience en Belgique ; lorsqu’elle postule pour des postes de niveau bachelier, on lui répond qu’elle est surdiplômée.
« J’ai donc du mal à trouver chaussure à mon pied, mais je ne perds pas espoir, je me dis que je vais finir par trouver ! »
Son conseil à des jeunes parents dans la même situation pour rester motivés ? «J’encourage les gens à faire des formations, c’est toujours un plus d’avoir un paragraphe à rajouter dans son CV. Il faut rester actif, comme me disait mon père. Ne pas attendre que la chance vienne à soi, mais aller vers ce qui nous attire, être en action! »
En Belgique, les étrangers en possession d’un diplôme obtenu en dehors du pays se comptent en milliers. Pour le faire reconnaitre en Fédération Wallonie-Bruxelles, la procédure est lourde, coûteuse et longue, comme le soulignait le magazine Alter Echo². Sans surprise, les personnes les plus touchées par ces difficultés seraient les femmes précarisées d’origine étrangère. Cette non-reconnaissance de diplôme complique encore l’arrivée dans un nouveau pays de ces personnes, qui se voient parfois obligées de changer de voie, ou d’effectuer des professions qui ne demandent pas de diplôme.
«J’encourage les gens à faire des formations, c’est toujours un plus d’avoir un paragraphe à rajouter dans son CV. Il faut rester actif, comme me disait mon père. »
Faire rimer enfant(s) et formation
Ces histoires ne sont pas des cas isolés. C’est le lot de la plupart des familles qu’on accompagne au Petit vélo jaune de rencontrer des difficultés pour se former ou pour trouver un emploi. Pourtant, il semble évident qu’un travail épanouissant est un levier important pour renforcer l’estime de soi, s’inscrire dans son environnement, se créer un cercle social, et « s’intégrer » lorsqu’on vient de l’étranger.
En rencontrant ces familles, en suivant durant plusieurs mois leurs efforts pour une vie plus stable et sécurisante, on se sent souvent impuissantes et révoltées par les nombreux bâtons mis dans leurs roues (pour garder la métaphore du vélo qu’on aime tant). On se demande ce que ces personnes débrouillardes et déterminées pourraient faire de plus que tout ce qu’elles tentent déjà. On se demande aussi comment elles arrivent à garder le sourire, à être optimistes et à rester des parents exemplaires.
¹ VAN PEEL, H. (2022, Mai). Pénurie d’infirmières et d'infirmiers dans les hôpitaux, une conséquence inquiétante de la crise sanitaire, RTBF.
² VALLET C. (2022, Mars). Équivalences de diplômes, parcours d’obstacles, Alter Echo n° 501.
https://www.alterechos.be/equivalences-de-diplomes-parcours-dobstacles/
Afin de protéger l'identité des personnes, les prénoms ont été modifiés.