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L'art de tout, l'air de rien

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On en perd des plumes dans la vie et on en retrouve.
Vous connaissez la chanson ?
Alouette gentille alouette, alouette je te plumerai
On peut perdre des plumes quand on a des besoins qui ne sont plus satisfaits
et on retrouve des plumes quand quelqu’un a le désir de les satisfaire
On perd des plumes dans un cpas où la vie n’est pas très rose
mais on en retrouve quand on reçoit une lettre comme celle-ci :
« accompagner une personne en situation de pauvreté revient à traverser un prisme
de lumière »
On perd des plumes quand on entend les chiffres, augmentation de 30% du nombre
de revenus d’intégration; en Wallonie, en 20 ans, on a fait X 2 le nombre de dossier
traités, 140 familles accompagnées par assistant social ! Augmentation de 40% de la
souffrance mentale, augmentation des situations de monoparentalité.
On perd des plumes devant l’évolution globale de la précarité dans notre pays
liée aux conséquences sociales de nos crises, Covid Ukraine inondations
On perd des plumes quand on renvoie tout le monde au cpas
alors que le cpas devrait arriver en dernier recours
On perd des plumes quand il y a 34 nouveaux fonds, quand les aides sont morcelées
On perd des plumes quand on standardise l’approche et qu’on la digitalise
ah oui l’écran nous en fait perdre des plumes !
On perd des plumes quand on a de moins en moins de temps à consacrer aux
personnes pour un résultat de services qui devrait être équivalent à avant
Et si les cpas disparaissent, on perd toutes les plumes, ils sont incontournables !
Comment tous ensemble pouvons-nous parler d’une même voix
pour soutenir ce système et pour qu’il ne disparaisse pas ?
Il est mal en point, défendons son renforcement !
La profession d’assistant social est reconnue en pénurie.
On perd des plumes quand on perd le temps de l’écoute, de la rencontre
Alouette gentille alouette, alouette je te plumerai
Ah les plumes les plumes et les plumes, on en perd des plumes dans la vie
Quand j’étais assistante sociale, je travaillais à la chaîne.
Quand, dans la salle d’attente sans fenêtres, les personnes arrivaient à 5-6 heures du
matin, les bébés pleuraient, je n’avais plus le temps de l’empathie, je me mettais à
penser que le problème, c’était la personne devant moi,
et puis elle vous regarde et vous dit « vous ne m’écoutez plus »
Après quelques mois, j’ai déraillé et j’ai démissionné.
On perd des plumes quand on met les travailleurs en état de déshumanisation,
quand on a une telle cadence qu’on finit pas mal soigner les corps qu’on soigne.
On retrouve des plumes quand des associations moins subsidiées
qui ont le moins d’injonctions de résultats d’efficacité de rentabilité
ont encore le temps de l’écoute
On retrouve des plumes à l’asbl portes ouvertes :
des bénévoles, une porte ouverte transparente,
toute personne qui veut peut passer la porte, s’asseoir et parler,
l’asbl bras dessus bras dessous, le petit vélo jaune
On perd des plumes quand on est financé en fonction du nombre de dossiers.
La recherche d’efficacité et de performance ne permet pas de diminuer la précarité.
Comment ils font les travailleurs sociaux qui tiennent le coup ?
Y en a qui tiennent le coup ?
On retrouverait des plumes si on travaillait pour la lutte contre la pauvreté au niveau
interfédéral, on est tous dans le même bateau
On retrouverait des plumes si on se mettait autour du jeune
et on créerait pour lui un plan personnel, un plan d’émancipation humaine
partagé par toutes les institutions que la personne rencontre.
On retrouve des plumes quand on est bienveillant avec le travailleur social
quand on identifie ses signes de détresse
On retrouve des plumes quand on se dit que tout le monde
oui tout le monde fait ce qu’il peut
alors serrons-nous les coudes
Alouette gentille alouette, alouette je te plumerai
On perd des plumes quand on commence à voir des assistants sociaux
qui ont des discours maltraitants un regard droitisant sur la pauvreté
On retrouve des plumes quand on offre des temps d’empathie au travailleur social
quand on raccroche l’a.s dans un récit stimulant du monde de demain
quand on lui permet de se ressourcer auprès de structures stimulantes
et qu’on valorise son salaire
On retrouve des plumes quand on goûte à la solidarité chaude
On retrouve des plumes quand Aïcha, 33 ans, d’origine guinéenne
maman de quatre enfants, secrétaire de direction au chômage,
travaillant full time dans sa famille monoparentale
et Catherine, 66 ans, infirmière sociale de formation,
se rencontrent
On retrouve des plumes quand on se considère comme un paysage à arroser
et qu’on rencontre une arroseuse qui vise bien pour que ça se déverse dans toutes
les coupes et à chaque étage
On perd des plumes quand on n’a personne avec qui partager un thé des émotions
son vécu en tant que maman de 4 enfants
quand on garde tout pour soi-même
quand on ne peut plus prendre soin de soi et donc de ses enfants
On retrouve des plumes quand on commence à faire du windowshopping social
qu’on scrolle sur internet et qu’on finit par tomber sur « le petit vélo jaune »
et qu’on trouve leur vidéo de deux minutes et qu’on sait que c’est du petit vélo jaune
qu’on a besoin
On retrouve des plumes quand, sur le point de craquer, on débouche un évier
ensemble, qu’on boit un verre ensemble et qu’on peut se confier sans que celui qui
écoute considère cela comme une faiblesse
On perd des plumes quand on arrive jusqu’en Europe après avoir passé 16 ans dans
un camp de réfugiés et qu’on ne retrouve plus le côté humain sur son chemin,
quand il y a un nuage autour de toi, tu ne sais plus quel chemin prendre
On retrouve des plumes quand on transforme ses difficultés en force
et quand quelqu’un vient t’aider à nettoyer ton chemin rempli de feuilles mortes
pour que tu puisses à nouveau prendre soin de toi et t’occuper de tes enfants
sans avoir peur de sortir de chez toi avec eux pour faire tes courses
Alouette gentille alouette, alouette je te plumerai
On retrouve des plumes quand Pascale de l’ONE vient à ton domicile pour voir la
réalité de ta famille et peut donner des conseils adaptés en ayant conscience de
l’endroit dans lequel tu vis. Pascale dit : « Une disponibilité de part et d’autre, une
confiance qui se gagne, cela demande du temps, c’est mon essentiel, c’est prioritaire,
parfois je laisse tomber mes papiers, il faut faire des choix sinon ce n’est pas possible.
Je suis contente de me lever le matin, d’aller voir mes familles, je suis une infirmière
sociale heureuse, quelle richesse de voir des familles qui s’en sortent, c’est
extraordinaire, je me nourris de ça, et je travaille en binôme, ça me permet de déposer
et de prendre de la distance par rapport aux situations souvent difficiles qu’on
rencontre. Chaque personne a en elle la force de s’en sortir, mais seule, avec ses
pensées noires, ça devient infernal. Avoir quelqu’un qui ferme son PC, qui met son
téléphone de côté, qui arrange la pièce pour que ce soit accueillant, c’est essentiel, je
me sens un peu extraterrestre en disant ça. Quand je rencontre une famille, je suis
une page blanche, tout est possible; je suis depuis quinze ans dans le même quartier,
les mêmes familles qui m’apportent de nouvelles familles. Je me sens bien dans la
continuité. Je n’ai pas le but de les amener quelque part, juste être à côté d’elles,
les emmener pas à pas, construire la confiance. Des ressources, tout le monde en a.
Quand je rentre chez moi, je mets Mozart à toutes les sauces en fonction de ce que
j’ai vécu la journée, ça me fait un bien fou. »
On perd des plumes si on ne se met pas dans un commun,
oui il manque la pensée du commun, on hiérarchise on catégorise, les frontières
deviennent murs. La vulnérabilité nous constitue, il y a des inégalités, on a plus ou
moins de fractures de manques de besoins. Le « vivre digne » ne va pas de soi, ça se
travaille pour toutes et tous.
On trouve des plumes en apprenant par le partage avec les autres.
On retrouve des plumes avec les mots, la relation, en retrouvant du lien, du commun,
en n’ajoutant pas de la violence à la violence : on est piégés par les valeurs néolibérales
qui nous constituent dans nos intimités et dans le fonctionnement de la
société, le soin n’est pas quantifiable. Quand on additionne les gestes, ça perd de la
justesse, ça fatigue tout le monde, on est dans un moment d’épuisement collectif.
On perd des plumes quand on court comme des poules sans tête,
quand tout est bureaucratisé et qu’on ne trouve plus le sens de son travail.
Nous sommes tous des poules sur le fil du burnout.
Notre société est en burnout, cela a des coûts humains et économiques.
Les travailleurs et les travailleuses sont pris dans la même course folle.
On va déléguer le prendre soin à des personnes qui sont des femmes, de plus en plus
racisées. Avec l’idée : c’est le sale boulot, c’est le sale soin. C’est celui des dominés
qui se retrouvent au chevet des dominants. Et pourtant, c’est par tout ce qui fait soin
malgré tout que le monde continue à tenir debout. Prenons conscience de la
nécessité d’un changement de paradigme en s’appuyant sur cette vulnérabilité
commune, pensons les interdépendances autrement.
On trouve des plumes quand on croit fortement que la solidarité chaude prônée par le
petit vélo jaune, c’est une solution pérenne, quand l’autre sent qu’il en vaut la peine.
On retrouve des plumes quand on cultive tous les jours beaucoup de douceur,
quand, avec le temps, quelqu’un nous permet de retrouver notre confiance,
quand Aurian est plus qu’un babysitter, qu’il m’aide à déménager, qu’il me propose
des activités très chouettes. Oui, on se rencontre de façon régulière, et la relation
aidant-aidée devient une relation humaine.
On retrouve des plumes quand on cuisine des sushis ensemble, qu’on va au resto et
aux grottes de Han et qu’on mange ensemble un carrot cake en suivant le camion
chargé de meubles.
On retrouve des plumes quand on n’avait pas imaginé qu’en un an on changerait à ce
point et qu’on aurait à nouveau de l’empathie vis à vis de soi.
On retrouve des plumes quand on rigole beaucoup plus depuis un an,
quand on sort de la grotte parce qu’on a rencontré « le petit vélo jaune »,
la meilleure chose qu’on pouvait rencontrer dans sa vie.
On trouve des plumes quand une rencontre ouvre les frontières de son petit monde,
quand une rencontre est un cadeau de Dieu.
On trouve des plumes quand on parle avec son coeur,
quand une structure propose à une famille monoparentale des babysitters
pour qu’un parent puisse prendre du temps pour lui.
On trouve des plumes quand on prend le temps, quand on humanise le lien auprès
de personnes qui se sont senties à un moment déshumanisées,
je dis aux équipes : « prenez une heure et demi d’entretien; l’objectif, c’est que la
personne dise : il y a une association qui existe, la maison des parents solos, et cette
association m’a vue. »
On retrouve des plumes quand on sort de la posture du pouvoir, celle où on croit
savoir ce qui est bon pour l’autre. Choisissons de nous mettre à une certaine place,
prenons une autre posture, par le temps donné, donnons-nous le temps de ne pas
être juste dans le palliatif mais inventons autre chose sur la durée,
projetons-nous, soyons dans le moyen le long terme plutôt que dans le court terme,
sortons de cette fuite en avant, de cette conception linéaire du temps,
pour ouvrir d’autres possibles.
Pierre Zaoui s’interroge sur ce qui nous est volé,
et cela nous aide à penser ce qu’on voudrait voir réapparaître.
Notre monde est invivable à long terme pour les humains
et pour le monde vivant en général.
On perd l’utopie, la possibilité de rêver en dehors des cadres,
il faut rêver grand pour ne serait-ce qu’agir petit,
on perd l’immédiateté,
car dans un monde où tout est urgent, plus rien n’est urgent,
on n’arrive plus à penser.
Retrouvons le sens de l’urgence, là où il est indispensable d’agir.
On perd le temps de l’histoire. Crise après crise après crise,
on n’arrive pas à se transformer par la crise pour penser autrement.
On perd des plumes quand on oublie les racines, qu’on oublie d’où on vient,
on oublie les chemins de lutte.
Ah, on en perd des plumes dans la vie.
Alouette gentille alouette, alouette je te plumerai
On retrouve des plumes quand tout l’amour qu’on a donné aux siens,
on a envie de le transmettre encore et de donner encore et encore ce qu’on a eu la
chance de recevoir dans sa vie
On perd peut-être des plumes quand dans sa vie de femme,
on est seulement entourée d’hommes qui ne t’ont jamais appris à être une maman
et on retrouve des plumes quand on rencontre une femme qui, après ton
accouchement, te redonne confiance, comme une grande soeur,
j’aimerais que l’enfance de ma fille dure plus longtemps que la mienne,
je suis forte d’avoir combattu l’oppression le racisme,
je veux lui transmettre le bonheur la dignité la confiance
et l’amour pour toutes les créatures
On retrouve des plumes quand on se dit
« mon quotidien, c’est comme une boite de chocolats, on ne sait pas ce qu’on va
trouver mais on sait qu’il y aura toujours quelque chose qui nous plaira. »
Ah plumes les plumes et les plumes
Alouette gentille alouette, alouette je te plumerai
Je ne connais pas toutes les plumes de ton plumage,
je ne connais pas toutes les plumes de mon plumage
on oublie les plumes qui furent nôtres
et d’autres perdues nous blessent encore un peu
mais ce qui est sûr, c’est que tes plumes forment un oiseau
et les miennes forment un oiseau
et nos oiseaux composés de tant de plumes d’autruis d’inconnus d’à venir
d’anciens d’oubliés d’obscurs et de lumineux
nos oiseaux déplumés remplumés
nos oiseaux éphémères et en métamorphose toujours tant que l’on n’est pas mort
nos oiseaux qui prennent soin du temps de la rencontre
nos oiseaux chantent oui chantent
nous sommes les oiseaux métissés et splendides de la transition
celle qui se joue ici l’air de rien, par l’art du tout, par l’art de prendre soin,
par l’art de prendre le temps, l’art de se rencontrer,
Oui, ce qui est sûr, c’est qu’avec toutes ces plumes perdues et retrouvées,
on peut créer et devenir au petit vélo jaune des nouveaux oiseaux,
oui des nouveaux oiseaux.
Et tous et toutes, volatiles neufs que nous sommes, on partira de la Tricoterie
en ayant fêté les dix ans du petit vélo jaune, dans une chaude brûlante extra-douce
solidarité, on partira d’ici les coeurs gonflés d’humanité, de chaleur humaine
et c’est magique c’est magique ! Le petit vélo jaune essaime,
essaime des structures cousines, des structures à taille humaine
grâce aux bénévoles grâce aux duos !
Et des milieux sociaux différents se rencontrent sans hiérarchie dans les relations
et on compte pour quelqu’un et on vaut la peine
Le terreau associatif est richissime chez nous, les solutions viennent d’en bas !
Mettons-nous ensemble sur le territoire et faisons comme le petit vélo jaune :
ce qu’il nous semble urgent de faire.
Agissons ensemble,
sortons de la paralysie politique et faisons des miracles sur le terrain,
faisons-nous confiance,
et tous ensemble oui tous ensemble formons un nouvel oiseau
un immense oiseau désobéissant qui bouleverse l’air du temps
et qui chante le désir réjouissant,
le désir précieux et impétueux, le désir nécessaire et vital
de prendre avant tout le temps
oui
prendre le temps de se rencontrer.
Alouette gentille alouette, alouette je te remplumerai !

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Illustration de Lara Pérez Dueñas.

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